C'était jour de marché, comme tous les jours, depuis fort longtemps déjà, il faisait chaud, très chaud. L'ardant soleil brûlait notre peau mais la vie nous était permise, non grâce à nos capacités d'adaptation limitées, mais plutôt grâce à la bonté d'une forme d'Amon-Râ, celle de Khnoum, gardien de la source du Nil ! Ce fleuve bordé de part et d'autre par une terre fertile a permis notre installation.
En ce jour de marché, je transportais avec un autre esclave, le fils de mon Maître qui souhaitait s'aérer. Par la même occasion, j'avais été chargé de l'achat de quelques produits. Mon Maître ... c'était un petit homme, bien enveloppé. C'était un homme bien ; non pas bon, puisque sa bonté se limitait à son extrême cupidité. Parfois, lorsqu'il était satisfait de mes services, il me récompensait en soulignant que la meilleure manière de dépenser cet argent, restait de lui faire une offrande.
Certains esclaves gardaient cet argent en vue de l'achat de leur Liberté. Folle idée, pensais-je, puisqu'il nous faudrait deux vies de services ! D'autres se permettaient de servir leurs intérêts ; en général c'étaient les plus pauvres d'entre nous ! Moi, j'eus la chance de comprendre très vite que le fils du Maître voulût être scribe. C'était la raison pour laquelle je conservais mes gages afin de suivre le conseil du Maître, celui de lui faire une offrande. Même si en réalité, elles étaient destinées au fils.
Ce jour là donc, le jeune Maître, avait aperçu un calame finement taillé. Bien trop coûteux pour que je pusse lui offrir comme il l'eût souhaité.
Nous poursuivions notre chemin lorsque mon ami esclave disparût parmi la foule. Nous nous devions, le jeune Maître et moi, de rentrer. Sur la route nous avions rencontré des émissaires de Pharaon chargés de la sécurité publique, en provenance de notre domaine. Ce dernier se tenait debout, son fouet à la main ! Il me fit signe d'approcher. Je m’exécutais !
Puis il commença un long monologue :
" - La justice de ce royaume, veut que le voleur ait les mains coupées. Le vol du calame que mon fils voulait, m'a coûté un esclave ! Que puis je faire d'un esclave sans main ? Rien ! Si ce n'est l'affranchir ! Ma justice veut que je punisse celui qui organisa le vol ! Toi, esclave, je te punis : cent coups de fouet sur trois jours ! "
Je ne pouvais ni rien dire ni rien faire auquel cas ma sentence aurait été plus lourde. Il était de tradition que lorsqu'un esclave était jugé par son Maître, nul autre individu ne devait être présent. Je m'étais donc mis à genoux sur le sol. La pluie de coups, que je reçus, déchira ma loque dans un premier temps, et dans un second me dépeça l'épiderme du dos. Je m'évanouis le dos lacéré. Le lendemain, le Maître rentra de la cérémonie d'affranchissement et m'infligea une nouvelle fois sa sentence qui était d'une intensité plus forte ; et la douleur était bien plus insupportable que la veille. Je ne vis pas le jour tomber. C'était la pluie, la fraîche pluie qui me réveilla. Parce que me relever était trop difficile, je préférais ramper jusqu'à l'abri formé par le toit de la maison. J'entendis alors le fils du Maître répéter les événements survenus deux jours plutôt. Le Maître se lamentait et courut vers la porte. C'était la première fois que je le voyais larmoyer. Il s'abaissa, me ramassa et m'installa sur une chaise avant de me confesser :
" - Vois tu, esclave, ces larmes ? Ce sont des larmes de honte. Les larmes d'un homme qui est dans l'erreur. L'esclave aux moignons que j'ai libéré m'a rapporté qu'il avait agi sous tes ordres.
Mon fils, aujourd'hui, m'a expliqué ce qu'il s'était passé. Au nom de Pharaon , je souhaite m'excuser de la sanction que je t'ai infligée.
- Maître, vous êtes le seul en ces lieux qui puissiez décider, si ce que je fais est bien ou mal. Vous ne pouvez et vous ne devez vous excuser à un esclave !
- Une telle injustice n'aurait pas été commise par un homme de bon discernement ! C'est pourquoi je suis prêt à mettre fin à ta condition et à te rendre plus riche que tu ne l'es. Sans exagération, bien entendu.
- La Liberté ne m'intéresse nullement. N'ai-je pas eu le choix de vous servir ? En effet, j'aurais pu fuir ou me révolter ! J'aurais pu aussi refuser de m'endetter auprès de votre famille. Je serais certainement mort ; mais mort libre. Et parce que j'ai eu ce choix, je ne me suis jamais considéré comme non libre. Et je ne veux pas non plus de cet argent que vous chérissez tant !
- Esclave, tu tiens un raisonnement qui se veut argumenter et persuasif ! Comment un homme de ta condition peut il atteindre ce niveau d'expression propre aux scribes ?
- Maître, laissez moi simplement continuer d'apprendre !"
Il comprit que les offrandes que je faisais à son fils avaient un intérêt plus personnel. Il me permit la consultation de ses ouvrages, et me donnait plus de temps libre.
Puis quelques cycles lunaires passèrent et les affaires de mon Maître déclinèrent. Il avait dû vendre tous les autres esclaves. La maladie le toucha. Alité, il m’appela pour me donner ses derniers ordres :
" - Toi, esclave, il y a déjà de nombreuses crues que tu apprends. Ne connaîtrais tu pas un remède à mon mal ? Car les services de Pharaon me coûteraient ma maison, mon fils et toi."
Je répondis négativement. Alors il ajouta en présence de son fils :
" - Esclave, mon dernier désir est que tu t'occupes de Néterou ; qu'il grandisse en la compagnie d'un homme sage et cultivé."
J'acceptais. Le jeune Maître grandit ; et devint un scribe de renom. A l'heure de ma mort , je dis à Néterou:
" - Votre père aurait été fier. Néterou, il est l'heure pour moi du jugement de Maât. Je ne suis pas inquiet car j'ai su rester simple même après mon enrichissement, même après mon élévation au sein de votre famille. Dieu m'a permis d'acquérir la richesse pour faire du bien et je vois dans l'eau de votre œil qu'en aimant mon prochain, j'ai trouvé en votre famille, des parents. Je pars le cœur léger !"